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Dessins de la collection Prat au Petit Palais : une suite de bonheurs singuliers - Valeurs Actuelles

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Rares sont les collections en mains privées capables de franchir avec une telle aisance les murs des musées : d'une qualité conduite par un œil érudit, d'un goût sûr et averti, un bel ensemble de dessins de Louis-Antoine et Véronique Prat s'amarre, le temps d'une exposition, aux rives accueillantes de ce musée de collectionneurs qu'incarne le Petit Palais. Poussant les portes d'un intérieur d'amateur recréé, où s'immisce parfois l'image de la bibliothèque de l'historien de l'art et de son épouse journaliste, le visiteur découvre une présentation célébrant, ainsi qu'elle l'annonce, toute « la force du dessin ».

Héritage paternel, le goût de Louis-Antoine Prat pour la collection résonne comme un acte de piété filiale : « Mon père m'avait légué quelques œuvres, explique l'intéressé. Ce n'était pas un collectionneur, mon père. C'était un amateur. Il aimait s'entourer de belles choses. Il m'avait laissé des meubles, gravures et tableaux… Tout n'était pas d'excellente qualité. Mais je voulais comprendre tout cela… » C'est à la réception d'un petit pécule, en 1974, alors qu'ils sont tous deux étudiants sur les bancs de l'École du Louvre, que sa femme Véronique et lui décident de bâtir une collection. Frayant avec les marchands, dans le dédale des puces ou dans les salles des ventes de Drouot, ils se tournent au gré de leurs acquisitions vers le médium du dessin, qu'ils affectionnent et dont ils ont étudié l'histoire, limitant leurs achats à une « école française [qu'ils] connaiss[aient] le moins mal », de leur humble aveu.

Après quelques années d'achats, faisant leur cette méthode des Goncourt consistant à « faire une collection dans un domaine centré et un espace temporel défini », les Prat revendent en effet leurs dessins nordiques et concentrent leurs regards sur une école française qui, quoique encore imprégnée de l'Italie, s'en détache peu à peu pour s'acheminer vers un nouveau style pictural. En majesté, les noms éminents de l'art français du Grand Siècle ouvrent l'exposition. D'un dénuement exquis, cette Femme nue accroupie, de Charles Le Brun, morceau d'une parfaite maîtrise technique, évoque le raffinement atteint par le premier peintre de Louis XIV, dont on retrouve également une étude pour les décors du château de Versailles. Des acquisitions dignes des institutions, dont l'audace transparaît aussi derrière ce Christ mort, de Jean-Baptiste de Champaigne, que Louis-Antoine Prat disputa au représentant du Metropolitan Museum de New York. « Ce qui caractérise le bon collectionneur, justifie-t-il, en plus de la trilogie l'œil, l'argent, la connaissance, c'est la capacité à prendre des risques, ce qu'un musée ne peut pas faire. »

Singulière par son audace et la qualité des œuvres qui la constitue, la collection Prat l'est aussi par le genre dont elle est exclusivement composée. Fragiles et rares, les dessins se sont imposés comme une évidence aux yeux des Prat, qui y perçoivent le support capable de saisir l'intuition de l'artiste, celui où se réfugie son invention primordiale. À l'image de cet Enlèvement de Proserpine, de Nicolas Poussin, où les plages de lavis brun rencontrent ces empressés traits de plume dont tremble encore la feuille. L'œuvre emprisonne l'instant fugitif surgi de l'esprit du Poussin, le moment fugace où la nymphe Cyané s'interpose suppliante devant Pluton alors que s'ouvre le gouffre ténébreux sur lequel règne le maître des Enfers… Auteur du catalogue raisonné des dessins de l'artiste - coécrit avec le commissaire de l'exposition, Pierre Rosenberg -, Louis-Antoine Prat peut s'enorgueillir d'être l'un des rares (et heureux) détenteurs de dessins de Poussin, dont on compte seulement une quarantaine en mains privées. Un privilège qu'il acquit au prix de la vente de feuilles de maîtres d'un XXe siècle qu'il conserve peu, la collection s'interrompant aux portes de 1900.

Compagnon de route du Louvre

Les œuvres acquises de Pierre Paul Prud'hon frappent par leur nombre et la qualité de leur exécution. Alors que triomphent les grands noms d'un néoclassicisme impulsant un retour à l'antique - bien représenté dans l'exposition par les esquisses de David, Peyron ou Vincent -, Prud'hon surprend ses contemporains par un style indépendant, dont les accents mélancoliques lui attireront bientôt les sympathies des artistes du romantisme qui s'annonce. Derrière cette allégorie de l'Âme quittant les liens qui l'attachent à la terre, résonne la voix de Delacroix, vantant « cette belle âme détachée de sa chaîne [qui] s'élève avec langueur, et dans ses beaux yeux un faible espoir se mêle à l'amer sentiment des douleurs passées ». Jouant délicieusement sur les nuances de l'estompe, la pierre noire et la craie blanche, l'esquisse renvoie à l'œuvre peinte du musée du Louvre, qui n'apporte que peu de variantes. Cette proximité avec l'institution, les Prat l'assument et s'en délectent. « Véronique et moi avons été élevés par le Louvre, explique Louis-Antoine Prat. Si nous trouvons des choses liées [à l'institution], nous sommes très contents. » « J'ai été compagnon de route du Louvre toute ma vie », ajoute encore celui qui en a longtemps été un chargé de mission avant d'être nommé à la tête de la Société des amis du musée.

La disparité, enfin, des techniques des dessins rassemblés par le couple de collectionneurs amène aussi son lot d'heureuses découvertes. À l'instar de cette singulière aquarelle de Jean Auguste Dominique Ingres, que le commissaire de l'exposition n'hésite pas à « place[r] parmi les pages les plus étonnantes, les moins conventionnelles […] de l'histoire du dessin français ». Se détachant dans la nuit sombre qui emprisonne son songe, la silhouette du barde écossais Ossian ploie sur sa harpe, au-dessus de laquelle planent les ombres pâles de ses ancêtres : première pensée pour un décor, l'œuvre aboutie issue de l'aquarelle ne prit jamais place au plafond de la chambre à coucher du Quirinal où Napoléon aurait dû la contempler. Et de la parure zénithale, demeure ce témoin virtuose, composition nocturne d'une inquiétante étrangeté, miroir des sombres tourments de son héros…

Un panorama cohérent du dessin français

Un même mystère étreint cette figure plus tardive d'Eugène Delacroix, belle amoureuse au piano, gorge déployée et dont l'identité demeure inconnue. Par-delà son sujet, c'est la technique employée par son auteur qui surprend, jouant sur les différentes valeurs du lavis pour suggérer ces ombres qui dessinent l'instrument auquel s'affaire la musicienne. D'une habileté technique remarquable, le dessin constitue un choix audacieux des collectionneurs, qui conservent plusieurs ébauches du maître. Des fusains aux feuilles noircies de crayon Conté, la variété technique qui accompagne l'heure de l'industrialisation laisse son empreinte sur les œuvres les plus tardives d'une collection close à l'ombre des Grands Arbres de Paul Cézanne, quelques années à peine avant 1900.

Passée de milliers de feuilles hier à 220 aujourd'hui, la collection de Véronique et Louis-Antoine Prat a su s'affiner pour imposer avec force le caractère hétéroclite de son fonds, rassemblant aussi bien les plumes du Grand Siècle que les trois crayons de l'art rocaille ou les encres des romantiques. De Boucher à Seurat, en passant par Ingres, Delacroix ou Victor Hugo, elle construit un panorama cohérent du dessin français, dont elle fait surgir, de l'aveu du directeur du Petit Palais, Christophe Leribault, une « suite de bonheurs singuliers ».

La force du dessin, chefs-d'œuvre de la collection Prat, Petit Palais, Paris VIIIe, jusqu'au 4 octobre.

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July 11, 2020 at 06:00PM
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