Le couple de collectionneurs français a les honneurs du Petit Palais. L’occasion de découvrir des merveilles de Poussin, Watteau, Redon ou Cézanne.
Leur premier achat, dans une galerie avenue de Messine, est un portrait de Max Ernst par André Breton, de la collection de Valentine Hugo. Mais à cette époque ils n’ont pas encore le projet de devenir collectionneurs. Lorsque, à l’âge de 20 ans, Louis-Antoine Prat publie son premier roman chez Albin Michel, il pense plutôt se consacrer à une carrière littéraire. Avec son épouse, Véronique, petite-fille du poète surréaliste Philippe Soupault, aujourd’hui journaliste au « Figaro magazine », ils étudient d’abord l’œuvre de Scott Fitzgerald, fascinés par les élégances de la « génération perdue » et le destin de Gatsby. Ce n’est qu’après leur mariage, en 1970, qu’ils s’inscrivent ensemble à l’Ecole du Louvre, moment où naît leur passion commune pour le dessin.
La collection s’étend sur plus de trois siècles, du XVIIe aux avant-postes de la modernité
« Lorsque nous avons vendu la villa de mon père à Nice, qui était remplie de tableaux dont la plupart m’intéressaient peu, nous avons décidé de commencer à collectionner en allant aux puces, à Drouot et chez les marchands, raconte Louis-Antoine Prat. Au Louvre, le cabinet des dessins venait d’ouvrir dans le pavillon de Flore, et donnait envie d’y travailler ! » Louis-Antoine et Véronique s’étaient d’abord spécialisés dans les maîtres flamands, mais se sont finalement engagés sur la voie du dessin français. Au début, ils ont énormément acheté. Les prix n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui, et les amateurs de dessin étaient moins nombreux.
La collection s’étend sur plus de trois siècles, du XVIIe aux avant-postes de la modernité. Les plus grands artistes sont présents, Nicolas Poussin, Simon Vouet, Antoine Watteau, Odilon Redon, Georges Seurat, Paul Cézanne… « Nous avons pu constituer des ensembles de Delacroix, d’Ingres, de Prud’hon. En revanche, nous n’avons par exemple qu’un tout petit Claude Lorrain », détaille Louis-Antoine Prat. Pour lui, collectionner c’est mener l’enquête. L’une de ses plus belles découvertes est une petite tête qu’il a repérée dans une vente aux enchères. Elle était attribuée au peintre Jean-Baptiste Wicar et appartenait à un historien du néoclassicisme, mais il a compris qu’il s’agissait d’un dessin préparatoire pour une œuvre importante de David.
Lorsque leurs dessins ne sont pas prêtés dans les musées du monde, Louis-Antoine et Véronique Prat vivent avec leur collection
Et des erreurs ? « On en fait aussi beaucoup. Au début, on achète des petites choses qui ont peu d’intérêt. Parfois, on peut se faire avoir par de très bonnes reproductions. Mais la pire erreur c’est de ne pas acheter quelque chose de bon », dit-il en faisant référence au dessin d’une femme nue de Greuze dont il avait mis en doute l’attribution, et que son ami le marchand Jacques Petithory a finalement acquis quelque temps après. « J’avais une grande amitié pour Petithory, qui se disait brocanteur sous échoppe, mais vendait au Getty et au Metropolitan. Il avait une petite maison rue Danton à Levallois, une caverne aux merveilles… », se souvient Louis-Antoine Prat.
Certains collectionneurs se font conseiller mais, pour lui, acheter avec les yeux des autres serait impensable. A-t-il une stratégie ? « On ne peut pas en avoir, répond-il, c’est le hasard… même si j’ai parfois attendu des œuvres pendant des années, comme “L’amoureuse au piano” de Delacroix. » Le commissaire-priseur François de Ricqlès, ancien président de Christie’s, fait l’éloge du personnage : « Généreux pour les musées et discret dans ses achats, secret comme le sont les grands collectionneurs. » Lorsque leurs dessins ne sont pas prêtés dans les musées du monde, Louis-Antoine et Véronique Prat vivent avec leur collection. Chez eux, chaque pièce est consacrée à une époque : le XVIIe dans l’entrée, le XIXe dans le salon et le XVIIIe à l’étage.
"J’ai toujours pensé que le monde des collectionneurs et celui des musées étaient proches
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Avec le temps, le regard change parfois, ce qui facilite les arbitrages lorsqu’il est nécessaire de vendre pour acheter mieux. Louis-Antoine Prat a longtemps travaillé au département des arts graphiques du Louvre, puis a enseigné à l’Ecole du Louvre. Il préside depuis quatre ans la Société des amis du Louvre. Chercheur prolifique, il est l’auteur avec Pierre Rosenberg des catalogues raisonnés des dessins de Poussin, de Watteau et de David – « en général, on en fait un dans une vie ! » souligne Christophe Leribault, directeur du Petit Palais. En 1995, l’académicien Pierre Rosenberg, qui est commissaire de l’exposition du Petit Palais, l’avait invité à exposer sa collection au Louvre, qu’il présidait à l’époque. C’était une première pour un ensemble en mains privées : « J’ai toujours pensé que le monde des collectionneurs et celui des musées étaient proches, et que c’est le rôle des conservateurs de faire connaître les collections dans les musées. Cela s’est beaucoup fait par la suite. »
La destinée d’une collection est toujours un sujet sensible sur lequel Louis-Antoine Prat s’exprime volontiers : « Mon idée première était que notre collection aille au Louvre, mais les œuvres postérieures à 1848 sont traditionnellement conservées au musée d’Orsay. Le Petit Palais possède les très beaux dessins de la collection Dutuit et m’a merveilleusement reçu. Et il y a le musée du Grand Siècle que Pierre Rosenberg prépare à Saint-Cloud… Cela fait plusieurs possibilités. En tout cas, je voudrais qu’elle ne soit pas vendue. »
OÙ ET QUAND « La force du dessin. Chefs-d’œuvre de la collection Prat », Petit Palais, Paris VIIIe , jusqu’au 4 octobre.
Les trésors de la collection D’une feuille à l’autre, on passe de merveille en merveille. Avec sa composition remarquablement dynamique, « Deux gentilshommes vus de dos, un “pantalon” dansant, plusieurs gnomes » de Jacques Callot, l’un des dessins les plus anciens, est une vraie rareté. « Feuille d’étude d’animaux, de figures et de bâtiment » témoigne de façon décisive de la méthode de travail de Poussin. La « Vue de la façade orientale de la villa Médicis » d’Hubert Robert (ci-dessus) frappe par son élégance. Il y a aussi un ensemble formidable de dessins d’écrivains, un « Cheval ruant » de Delacroix, l’extraordinaire brouillard qui entoure la « Femme accoudée à un parapet de la Seine » de Seurat… On voudrait passer des heures devant chaque feuille. A.P.
Toute reproduction interditeAugust 03, 2020 at 11:24AM
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